Voilà, voilà, je boucle cette rubrique Exploitation d’oeuvres, des oeuvres à exploiter. L’idée était d’avoir les ressources suffisantes afin proposer une promenade en Histoire des arts à travers le temps, quelque chose de suffisamment complet pour pouvoir être utilisable sur l’ensemble de l’année. Je pense avoir atteint mon objectif. C’est pas exhaustif, certes, je ne propose rien concernant la préhistoire ou l’antiquité, ce sont deux périodes qui me bottent moins en terme d’art. Mon autre mea culpa concerne le fait que je ne me suis intéressé qu’à la peinture, mais c’est tellement riche ! J’ai toujours essayé de ne pas tomber dans le saupoudrage pédagogique, chose que j’aurais l’impression de faire en brassant tous les domaines de l’art. J’ai préféré construire des connaissances plus solide dans UN domaine, c’est un choix.
Peut-être que cette rubrique continuera à s’enrichir au fil des projets, des envies, des rencontres. Aujourd’hui, c’est une oeuvre du XXe siècle sur laquelle on se penche !
Mais qui a foutu un tel b***** ?!!!
Y a de quoi rester assez dubitatif devant ce tableau… Que dire ?… C’est… surprenant, euh…. original… Ça change d’un Rembrandt… Il va être difficile de faire une analyse de la lumière ou de la composition…
Allez, on se reprend. Alors, qu’est-ce que j’ai sous les yeux ? Des formes. Ah oui, j’ai des formes ! Y a des ronds, des segments, des lignes courbes, brisées, des triangles, des rectangles, des damiers, …
Et puis des couleurs : du jaune, du rouge, du bleu (comme son nom l’indique), mais aussi du violet, un peu de vert, d’orange, des nuances de ces couleurs.
Même en prenant le temps de poser son regard, ce tableau reste assez hermétique. Mais qu’est-ce que Kandinsky a voulu nous montrer ?
On essaye de regarder plus finement ce tableau, de le décrire du mieux que l’on peut, une fois passé l’effet de surprise.
Observons les formes :
Les cercles tout d’abord : à part la forme, peu de points communs entre tous. Des p’tits, des gros, des monochromes, des multicolores, des simples, des superposés les uns sur les autres… Et le plus gros, celui de droite, qui est recouvert d’un tas de … « trucs ». Qui a dit que les cercles se ressemblaient tous ?
Sans parler des arcs de cercles présents dans la composition également.
Apparaissent aussi des carrés, des rectangles, des damiers, des quadrilatères plus ou moins orthogonaux.
Et puis on a des lignes : des lignes ouvertes, des lignes fermées, des rectilignes, des courbes, des fines, des épaisses, des courtes, des longues… Bref, encore un éventail très varié de cet ingrédient.
Ben voilà ! Vous voyez qu’on arrive quand même à distinguer des trucs dans cette image !
Privé de ses couleurs, voici ce à quoi ressemble Jaune Rouge Bleu Blanc Blanc Blanc :
D’après mon expert de 5 ans, à la maison : « il a fait n’importe quoi en s’appliquant, en mettant des jolies couleurs ».
On peut aussi relever que sur la moitié gauche du tableau, ces formes sont toutes placées les unes à côté des autres. Certaines se chevauchent mais l’ensemble reste épuré, tandis que la moitié droite est son opposé. Tout se mélange : les formes, les couleurs, elles sont toutes les unes par dessus les autres. On a finalement deux ensembles de masses qui cohabitent, mais qui sont strictement l’inverse l’une de l’autre!
Et les couleurs dans tout ça ? Regardez bien :la masse de gauche dégage une impression majoritaire de JAUNE (et des nuances orangées) tandis que la masse de droite renvoie un BLEU foncé, mêlé de NOIR. Et au centre, c’est du rouge.
Et le « décor » ? C’est l’inverse, l’arrière plan à gauche est fait de violet (nuance du bleu) tandis qu’à droite, on retrouve le jaune. A ces couleurs dominantes, on peut y observer des dégradés. On a bien une opposition entre couleurs chaudes et couleurs froides, dans les masses et dans les arrières plans.
Bref, on constate qu’une vraie dualité existe dans la composition : au niveau des formes, des couleurs des masses, des couleurs des arrières-plans. Donc :
Vassily Kandinsky (1866-1944) est un peintre Russe (naturalisé français en 1939), mais aussi un théoricien de l’art et un musicien (détail qui a son importance). C’est lui l’inventeur de l’art abstrait et il est considéré comme l’un des plus grands peintres du XXe siècle, aux côtés de Picasso ou Matisse.
Il n’a pas débuté la peinture en réalisant des tableaux abstraits, mais c’est le résultat d’années de recherches et de réflexion qui l’ont mené à ne plus représenter le réel, à abandonner la peinture figurative (celle qui représente le monde). C’est un virage dans l’histoire de l’art ! Inutile donc de chercher à reconnaître des intentions de représentation de tel ou tel objet ou personnages dans une peinture abstraite.
La légende raconte que Kandinsky a pris conscience du potentiel expressif de l’abstraction le jour où, dans son atelier, il a découvert un tableau qu’il ne connaissait pas et qui le troubla… jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il s’agissait de l’une de ses toiles posée à l’envers. Mais le fait d’être touché d’une manière ou d’une autre par des formes et des couleurs qu’il n’identifiait pas a été un premier pas vers l’abstraction.
Il a considéré qu’il était possible de susciter des émotions chez le spectateur en associant des formes et des couleurs, des points et des lignes. Il s’agit des composantes plastiques élémentaires, et leur association réfléchie permet de faire naitre des émotions chez le spectateur. Un peu à l’image de la musique, dans laquelle une association de notes permet de provoquer joie ou tristesse en allant titiller l’âme de l’auditeur.
Composition n°8
Vassily Kandinsky
Trente
Vassily Kandinsky
Kandinsky a développé toute une théorie selon laquelle chaque élément produit un effet en fonction de son orientation. Par exemple, « la ligne horizontale possède une tonalité affective sombre et froide semblable au noir ou au bleu, tandis que la ligne verticale correspond à la hauteur, elle possède au contraire une tonalité lumineuse et chaude proche du blanc ou du jaune. Le point quant à lui résonne différemment selon sa place sur la surface de la toile, selon sa taille, sa couleur… » Histoires, d’arts en pratiques, P. Straub.
Pour découvrir l’évolution de sa peinture à travers sa carrière, CLIC par ici.
On peut déjà commencer par dire que c’est un art dans lequel les œuvres ne font aucune référence à la réalité. Il n’y a aucune intentions de représenter quoi que ce soit qui existe. Il s’agit d’une théorisation de l’art poussé à l’extrême.
Cet art est basé sur une absence de formes naturelles, il se base sur des formes géométriques. Les peintres s’appuient également sur les variations de couleurs, les nuances, les oppositions clairs/foncés, le mouvement engendré par la composition créée, les textures ou encore les équilibres créés.
« Un tableau abstrait n’a pas de sujet, il n’est donc pas rattachable à un genre, et son titre ne peut renvoyer qu’à des aspects formels ou rester dans des concepts très généraux (par exemple « Composition » ou « Variation ») avec un numéro ou une date.
Regarder un tableau abstrait relève donc d’une attitude intellectuelle très particulière : dans l’absolu, il faudrait recevoir l’image sans rien projeter sur elle, sans essayer à tout prix d’y « reconnaître » des personnages ou des objets, sans essayer de comprendre, se promener en liberté dans un univers de formes et de couleurs, se laisser porter par sa propre rêverie, son propre jeu intellectuel, son propre voyage mental… Car les tableaux abstraits sont en fait des paysages mentaux. » Un jour, une oeuvre, Renée Léon
Inutile donc de chercher à se raccrocher à quoi que ce soit : il n’y a rien de reconnaissable dans une toile abstraite. Il faut juste la recevoir, se questionner intérieurement pour chercher ce que ces tableaux suscitent en nous.
Revenons à notre tableau : on s’était arrêté à l’idée que les deux moitiés s’opposaient (par le choix des formes utilisées et la manière dont elles sont disposées, par les couleurs présentes dans les masses mais aussi par celles de l’arrière-plan). Ici, on va pousser l’analyse un peu plus loin pour se rendre compte que la dichotomie de ce tableau est plus importante encore.
Les lignes : celle de la moitié gauche sont fines, rectilignes, tandis que celles de droites sont épaisses et sinueuses.
Les couleurs : on n’en avait pas encore parlé, mais ces trois couleurs choisies pour former le titre correspondent aux trois couleurs primaires, celles qui sont à l’origine de toutes les autres ! Et ce n’est pas un hasard.
La moitié gauche renvoie une impression de légèreté, de couleurs lumineuses, chaudes tandis que la moitié de droite montre des couleurs « lourdes » et froides. Par les couleurs, la moitié gauche donne alors une impression de mouvement, de dynamisme alors que celle de droite parait stable, immobile.
La composition : et là, c’est tout le contraire ! On ne sait plus sur quel pied danser. Les formes utilisées par Kandinsky sur la moitié gauche renvoient à la stabilité (lignes horizontales, rectangles) et celles de la moitié de droite induisent du mouvement (lignes courbes, formes qui se superposent, …) .
On notera la présence parmi les couleurs de rouge (la passion, la vie), de vert (apaisant), ou de noir et de blanc (neutres tous les deux).
On se retrouve encore une fois dans une situation d’opposition entre les deux moitiés : elles s’opposent MAIS se complètent l’une l’autre. C’est une histoire d’équilibre fragile, de désordre harmonieux. On retient donc ici que l’essentiel de ce tableau est dans l’équilibre des éléments qui se répondent dans un jeu d’opposition et de complémentarité.
J’hésite à aborder cette partie. Après avoir expliqué qu’il ne faut pas chercher à identifier quoi que ce soit dans une oeuvre abstraite, c’est pas malin (mais tellement intéressant, alors on y va) !
Une opposition Jaune / Bleu foncé-noir, ça ne vous évoque rien ? Vraiment ? Il pourrait être question du jour et de la nuit, une opposition doublée d’une complémentarité.
Cette géométrie, ces couleurs chaudes, les cercles, les obliques qui rappellent les rayons. C’est lumineux, c’est chaud. On peut se projeter sans prendre trop de risques : le soleil est évoqué !
Et de ce côté-là, ce cercle obscure d’où s’échappent des formes, ces surfaces qui se chevauchent, qui apparaissent par transparence. C’est la nuit qui est évoquée.
On peut même pousser l’interprétation un peu plus loin. Peut-être avez-vous vu apparaitre deux semblants de visages parmi ces formes, qui seraient la personnification du jour et de la nuit. On peut penser voir apparaitre un oeil et un nez sur la masse de gauche (le soleil) et la tête, un oeil et deux plumes qui viendraient coiffer la Nuit.
Bien sûr, il s’agit là d’interprétations. Cependant, des notes de cours que Kandinsky avait dispensés en Allemagne, au Bauhaus, évoquent LA NAISSANCE DES COULEURS :
« Phébus (dieu du soleil) et la lune s’évitent et se retrouvent quand même entre le jour et la nuit, comme l’aurore et le couchant. Naissance mystérieuse du rouge par la tendance simultanée à l’éloignement et à l’ascension du jaune et du bleu ».
Ce tableau pourrait alors nous raconter la naissance du rouge, fille du Jour et de la Nuit.
C’est beau et poétique, n’est-ce pas ? A l’origine, il existerait 2 couleurs (le bleu et le jaune) et le rouge serait alors le fruit de leur union, puisqu’il n’apparait que lorsque les deux astres se rencontrent, lorsque le ciel s’en teinte. Ces 3 couleurs primaires sont ensuite à l’origine de toutes les autres. On est donc remontés aux origines de la couleur.
Et là, j’ai pas pu m’en empêcher !
La séance :
Si des bandes apparaissent à l’affichage, cliquez sur Télécharger, puis Ouvrir avec… et choisissez votre lecteur PDF.
Les tableaux à montrer au cours de la séance :
Number 34 – Jackson Pollock
Composition en rouge, jaune bleu et noir – Piet Modian
Relief disques – Robert Delaunay
La trace écrite (sur le modèle de Cenicienta)
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En pratique éclairante, je vais une nouvelle fois m’appuyer sur le travail de P. Straub. Il s’agit d’une proposition de travail tiré de son ouvrage Histoires d’arts en pratique. Il nous propose de créer une image en binôme. Deux peintres vont « s’affronter » dans un duel au cours duquel chacun va devoir conquérir un territoire en y déposant sa couleur. La zone centrale sera une sorte de ligne de front dans laquelle une nouvelle couleur va naître à partir des deux premières, tout comme dans l’oeuvre de Kandinsky :
Vous pouvez trouver une présentation de cette activité sur son site ICI (il s’en sert avec un autre objectif).
Au passage, n’hésitez pas à aller jeter un oeil dans son livre. Patrick Straub propose une super comparaison entre Number 34 de Pollock et Jaune Rouge Bleu. La mise en opposition de ces deux tableaux est vraiment intéressante ! Il oppose par exemple la réflexion concernant la présence et la disposition de chacun des éléments dans le tableau de Kandinsky aux tâches et coulées aléatoires de Pollock. C’est passionnant !
C’est la première fois que je tombe sur un support aussi bien construit et écrit! Grand merci! A l’inverse de vous, l’art n’est pas mon dada… et j’ai besoin de travailler longuement mes séquences avant de les transmettre… Et là, j’ai envie, vous m’avez donné envie de me lancer! Mes CE2 vous remercient 🙂
ziletcompagnie22 décembre 2016 at 22 10 28 122812
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Merci à toi pour ce message, passe de joyeuses fêtes !
Thème de l’année: Différentes différences – Rigolett13 août 2017 at 22 10 34 08348
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[…] Superbe article sur le blog Zil et compagnie […]
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6 pensées sur « Jaune rouge bleu – Vassily Kandinsky ! »