« A moi la garde ! »
Mais qu’est-il en train de se passer dans cette scène ?
Sur cette scène, quatre personnages se tiennent devant nous. Trois sont en train de faire une partie de cartes tandis que la dernière apporte un verre à l’un d’eux. Les trois joueurs sont élégants. Celui de droite a l’air particulièrement riche au vu de sa tenue, et au vu de son tas de pièces, c’est lui qui a la main sur la partie ! La demoiselle n’est pas en reste avec son magnifique collier de perles ! Quoique le joueur de gauche parait un peu plus négligé : ses cocardes sont défaites (les noeuds sur l’épaule).
Rien ne bouge, tout semble suspendu mais pourtant quelque chose cloche dans cette scène…
Dans ce tableau encore, ce sont les habits qui vont nous aider à identifier l’époque. Les vêtements sont très ouvragés, pleins de dorures, les coiffes et la ceinture du personnage de gauche permettent de se faire une idée.
Le tableau date d’environ 1635. C’est l’oeuvre de Georges de La Tour, un peintre français. Il a été très influencé par Le Caravage, un peintre italien dont il était contemporain.
Ce tableau est un exemple de clair-obscur, très courant à cette époque-là. Il s’agit de plonger la scène dans la pénombre pour donner un côté dramatique, en mettant en lumière les éléments importants.
Ce qui rend l’ambiance étrange, ce sont ces regards en coin que se lancent les personnages. Pas celui du jeune riche à droite, lui il ne comprend rien à ce qui se passe. Qu’il est naïf ! Il ne voit pas plus loin que le bout de son nez et il est concentré sur son jeu. Après tout, c’est lui qui est en train de gagner, il est sûr de lui et détendu.
Et regardez sa voisine : son regard est dirigé vers la servante. Dont le regard est lui-même dirigé vers le personnage de gauche. Mais lui, qu’est-ce qu’il zyeute ? Ben toi ! Oui toi, derrière ton écran !
Il veux te prendre à parti, attirer ton regard sur lui et que tu sois témoin de ce qui se passe. Témoin et du coup complice. Ça ne vous aura pas échappé, le vil individu a glissé sa main dans son dos et ce n’est pas pour se gratter. Il tire un as de sa ceinture et nous regarde l’air de dire « t’as vu ce qui se passe ? ».
C’est une grande arnaque ! Les trois personnages sont complices et c’est ce jeu de regard qui permet de le comprendre. La courtisane attire notre attention directement en nous montrant du doigt la direction à regarder.
Et le verre de vin qui arrive, on imagine bien qu’il est destiné au jeune homme qui va se faire plumer ! Enivré, il ne verra rien arriver.
Une preuve plus subtile de la complicité des personnages : regardez les motifs qui se trouvent sur le col du tricheur et sur la brassière de la servante. Intrigant, non ?
Trois vices sont représentés à travers les trois tricheurs. Le voleur représente le jeu, la servante représente l’ivresse et la courtisane symbolise la luxure. Au XVIIe siècle, c’était les trois dangers que les hommes redoutaient. D’ailleurs, à cette époque, les jeux de hasard sont refusés par l’Eglise car ils mènent à la débauche et font voler les patrimoines en poussière.
La morale de l’histoire pourrait être « Reste loin de la tentation, du jeu et de l’alcool au risque de tout perdre ».
On peut y voir également une interprétation de la parabole biblique de l’Enfant prodigue.
On a déjà évoqué le jeu des regards entre les personnages. Celui-ci guide la circulation de notre oeil dans la lecture de l’image. On va partir de la courtisane qui est en pleine lumière pour se diriger vers le tricheur dont le visage est dans l’ombre.
Du point de vue de la répartition des masses, on peut détacher deux blocs. Le premier est composé des 3 acolytes : ils sont massés, collés. La tête du tricheur touche l’épaule de la servante et la main de la servante est au niveau de l’épaule de la courtisane.
Ces contacts ont aussi lieu au niveau de leurs mains. Celles-ci se rejoignent dans un espace restreint et forment un triangle qui vient mettre en avant la connivence entre ces personnages. Ce fragment de l’oeuvre suffit à regrouper le jeu, la richesse, la luxure et la boisson.
A l’opposé de ces trois escrocs, le jeune riche est seul, détaché dans l’espace. La composition du tableau est donc au service de la narration : seul contre tous.
La lumière du tableau nous raconte la même histoire. La lumière provient d’une source unique. A voir l’ombre portée sur la table (sous le coude du voleur), elle arrive dans le dos de celui-ci et cette source est située en hauteur, hors cadre. Elle est assez dure (la délimitation entre ombre et lumière est nette), ce qui donne un côté dramatique à la scène. Quand on regarde la manière dont l’arrière plan est éclairé, on s’aperçoit qu’il est plongé dans la pénombre, sauf derrière le personnage de droite. Cet effet renforce l’idée d’une opposition manichéenne.
Les tricheurs, Le Caravage – 1595
Cette oeuvre a certainement influencé de La Tour. Dans celle-ci, le complot est flagrant et saute aux yeux alors que dans notre tableau, les relations entre les personnages sont un peu plus fines. Ici, on voit clairement le personnage du centre regarder le jeu de l’adversaire et faire un geste de la main pour l’indiquer. On retrouve la carte saisie dans la ceinture par le joueur.
Le tricheur à l’as de trèfle, Georges de La Tour – vers 1630 – 1634
Cette toile ressemble fortement à la nôtre, mais la couleur de l’as joué n’est plus la même. Il y a encore quelques autres différences.
La diseuse de bonne aventure, Georges de La Tour, 1630
Ici, ce ne sont pas les mêmes péchés qui sont dénoncés, mais la naïveté. Le jeune crédule est tellement concentré sur ce que lui dit la diseuse de bonne aventure qu’il ne sent même pas qu’on lui fait les poches.
La partie de cartes : extrait de Marius (Marcel Pagnol). Une scène de la même nature que celle étudiée : des joueurs trichent pendant une partie de cartes. A voir à partir de 1’23. La vidéo est à retrouver en QR-code dans la trace écrite.
Le tableau sera présenté par dévoilement progressif. A chaque étape, la classe doit décrire et construire du sens.
Cliquez sur l’image pour télécharger le fichier (Powerpoint).
1° Un jeune homme, élégant, bien habillé, vraisemblablement riche. Au vu de ses habits, la scène n’est pas récente. Que regarde-t-il ?
2° Un femme à côté de lui. Elle parait riche aussi. Elle regarde sur le côté, mais quoi ?
3° C’est une autre femme ; elle regarde elle aussi dans une autre direction. Mais quoi ?
4° Un homme, et c’est nous qu’il regarde, mais pourquoi ? Et que font-ils tous ?
5° Ah ! On voit qu’ils jouent aux cartes.
6° Du vin ? Tiens donc, pourquoi ?
7° L’homme joue avec lui. Et que nous montre la main de cette dame ? (Et j’ai oublié de mettre l’image où l’on voit que de l’argent est en jeu)
8° Oh ! L’homme tire une carte de son dos, un as ! Il triche !
On va ensuite revenir sur le jeux des regards. Les trois complices se regardent les uns les autres, et le tricheur regarde le spectateur qui devient complice de la scène lui aussi. On devine que le jeune coq va se faire plumer !
Si des lignes blanches apparaissent lorsque vous ouvrez le document, cliquez ensuite en haut à droite de la fenêtre sur Télécharger, puis Ouvrir avec
La séance, les documents élèves et une reproduction :
La fiche de trace écrite est faite sur le modèle de Cenicienta :
Je joins de nouveau le tableau en dessin au trait pour ceux qui le voudront en plus grand. Il faut y replacer les regards des personnages (la clé pour comprendre le tableau), et on va pouvoir venir y faire figurer des information sur la lumière, la composition et les lignes de force. Il fait office de trace mémoire pour les élèves.
La collection Pont des Arts (je vous la présente ici) propose un album tiré de ce tableau. Il s’agit de La malédiction de Zar :
« Nous voici dans un monde peuplé de cartes qui se jouent d’un tricheur. Quand Zar comprend qu’il est condamné à perdre toutes les parties qu’il entame, son destin prend une autre tournure. Il remarque Fanny, la femme qui lui apporte ses repas, et décide de l’aider à se racheter : il s’empare de pièces d’or en semant le trouble pendant une partie. Cet élan sauvera Fanny et le sauvera aussi !
Les illustrations de Xavière Devos jouent sur le clair-obscur cher à Georges de La Tour. Les visages comme les vêtements de ses personnages sont d’une grande délicatesse. Un véritable hommage à ce peintre ! »
Je ne pense pas utiliser l’album pour exploiter le tableau, mais le lire à la classe, juste pour le plaisir !
En pratiques éclairantes, il est possible de travailler sur le clair-obscur. Voici une activité tirée de Histoires d’arts en pratiques, de Patrick Straub :
Si des lignes blanches apparaissent lorsque vous ouvrez le document, cliquez ensuite en haut à droite de la fenêtre sur Télécharger, puis Ouvrir avec.
Merci à Florent Denéchère pour son coup de projecteur sur mon travail !
9 pensées sur « Le tricheur à l’as de carreau, Georges de La Tour ! »
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Vous l’avez certainement déjà vu, ce tableau. Mais savez-vous ce qu’il représente ?
On y voit le portrait de deux jeunes personnes qui se donnent la main. La scène se passe en intérieur et semble ne pas être récente : le mobilier et les vêtements sont un peu rétro. Et à y regarder de plus près, c’est le bazar : deux paires de chaussures qui trainent, y a des fruits posés devant la fenêtre et même le chien qui s’incruste dans la composition ! Tout ça parait négligé ^_^
Trêve de plaisanteries, à bien y regarder, on voit un lustre sur lequel une seule bougie est allumée, un miroir accroché au mur, une inscription au dessus de celui-ci et un lit sur le côté de la pièce. Les vêtements sont ouvragés, on voit de la dentelle et de la fourrure. Elle a la main posée sur son ventre rebondi et lui lève la main droite.
Nous ne sommes pas chez n’importe qui : voici le couple Arnolfini, de riches marchands italiens établis à Bruges. Et il y a fort à penser que les températures étaient fraiches en cette saison.
Alors ? D’après vous ?
Cette oeuvre date de la fin du moyen-âge. Elle a été peinte en 1434. On peut le deviner en regardant les vêtements des personnages, mais aussi grâce à la paire de chausses posées au premier plan. Ces galoches s’enfilaient par dessous les chaussures pour ne pas les salir dans les rues boueuses.
Certes, c’est maigre comme indices et ce serait encore valable 200 ou 300 ans plus tard.
C’est un tableau qui date du début de la Renaissance. L’artiste, Jan Van Eyck, est aussi connu pour La Vierge au chancelier Rollin. Il est également connu pour avoir perfectionné la peinture à l’huile. Jusque là, les peintres utilisaient des peintures à l’eau qui séchaient très vite, et qui ne permettaient pas de revenir sur les détails pour les travailler. Grâce à ce nouveau médium qui sèche beaucoup plus lentement, Van Eyck a pu travailler avec beaucoup de minutie son tableau.
Comme le titre du tableau l’indique, ce sont des époux. Bien qu’il existe encore un débat et des questions sur la scène représentée, le plus probable est qu’elle représente un mariage. Ils pouvaient être célébrés à domicile à cette époque. Lui lève la main droite en signe de serment, elle a la main sur le ventre en signe de promesse de fécondité. Parce que non, elle n’est pas enceinte, pas encore. Mais au moyen-âge, les femmes avaient comme rôle essentiel d’engendrer des héritiers et elles étaient représentées dans ce sens.
Le peintre a glissé quelques éléments dans le tableau qui ont en réalité une signification symbolique.
Le chien n’est pas là pour nous montrer l’attachement que ses maîtres lui portaient. Il représente la fidelité. Et l’unique lumière qui brille sur le lustre ? C’est en fait une présence divine. Elle représente l’oeil du Christ. A cette époque, il était de coutume d’en offrir une aux jeunes mariés afin que le Christ ait un oeil sur eux et les protège. D’ailleurs, la religion est également présente avec le chapelet accroché au mur et les scènes de vie du Christ gravés tout autour du miroir. Enfin, la pomme est là pour nous rappeler un autre couple célèbre, Adam et Eve, et le danger de la tentation.
Et regardons de plus près. Jetons un oeil sur le miroir au fond de la pièce. On aperçoit les deux jeunes mariés de dos mais, tout au fond, regardez bien ! On voit deux personnages de plus : l’un en blanc/bleu et l’autre en rouge. Et l’un d’entre eux est Jan Van Eyck en personne. Et comme il voulait vraiment qu’on le sache, il a même tagué le mur ! Au dessus du miroir, on peut lire « Jan de eyck fuit hir 1434 » (Jan Van Eyck était ici). Il voulait signaler sa présence, insister sur le fait qu’il a vraiment été témoin de cette scène. C’est d’ailleurs une nouveauté pour les peintres de signer leurs tableaux pour l’époque.
Voici une séance qui a permettre de faire découvrir tout ça aux élèves. La découverte de l’oeuvre se fera quelques jours avant. On expose un reproduction et on les laisse aller la découvrir, s’en imprégner. Le jour de la séance, 4 groupes vont entrer dedans de manière différente :
1) On demandera au premier groupe de ramener un objet, une image, un texte, bref quelque chose qu’il va mettre en relation avec ce tableau, et devra expliquer le lien qu’il fait.
2) Le second groupe va entrer dans le tableau de manière sensible : il va faire fonctionner son imagination et essayer de deviner ce que ses sens capteraient s’ils pénétraient dans le tableau : que verraient-ils d’autre (hors cadre), quelle odeur y règne, quelles sensations tactiles ils auraient, quels bruits entendraient-ils, y a-t-il des goûts présents ou évoqués ?
3) Le troisième groupe se livre à une analyse technique du tableau (Clic par ici si vous êtes perdus)
4) Le dernier groupe fait une description de ce que l’on y voit.
Si de vilaines lignes apparaissent, notamment sur les images, lorsque vous ouvrez les documents, cliquez sur Télécharger, puis « Ouvrir avec » et choisissez votre lecteur de PDF.
La fiche de trace écrite est faite sur le modèle de Cenicienta :
L’image est HD : ouvrez-la pour l’agrandir, puis enregistrez-la pour l’avoir en pleine définition.
La fiche du groupe 1:
La fiche du groupe 2 :
Pour le groupe 3, je vous renvoie aux traces écrites des leçons sur le sujet
(Les lignes de force, La lumière, La couleur, La perspective)
Bon, mea culpa, je n’ai pas préparé les pratiques éclairantes. MAIS, je m’en sors bien, le génialissime livre de Patrick Straub, Histoire d’arts en pratique, propose justement cette page-là en extrait à découvrir. Il nous propose de faire tester aux élèves la différence entre la peinture à l’eau et celle à l’huile pour se rendre compte de leurs différences et des différentes possibilités qu’elles offrent.
Pour la trace écrite, vous aurez également besoin de la fiche Exprimer son ressenti face à une oeuvre :
10 pensées sur « Les époux Arnolfini, Jan Van Eyck ! »
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Que cest bien!! Mais que cest bien!! Merciiiii
OlivierI
Dimanche 8 Novembre 2015 à 19:29
Merci Djoum ! Comment s’est passée ta reprise (si tu as repris de ton congé mat’) ?
Djoum
Jeudi 12 Novembre 2015 à 16:20
Oui oui j’ai repris à la rentrée. J’ai changé d’école, j’ai maintenant des CM donc je cours, je cours 😉 Il faut que je prenne le temps d’installer mon travail en arts cette année car ton blog m’a vraiment donné des tas d’idées mais je n’ai pas le temps
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Merci Djoum ! Comment s’est passée ta reprise (si tu as repris de ton congé mat’) ?
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Oui oui j’ai repris à la rentrée. J’ai changé d’école, j’ai maintenant des CM donc je cours, je cours 😉 Il faut que je prenne le temps d’installer mon travail en arts cette année car ton blog m’a vraiment donné des tas d’idées mais je n’ai pas le temps
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Génial. Merci
OlivierI
Dimanche 8 Novembre 2015 à 21:00
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Un souvenir de fac: j’avais pris une UV HDA et c’est un des tableaux du programme de cette année-là. Ta présentation est encore plus complète que celle de ma prof ! Bravo !
dit :
Wahouuuuu!
Ben moi j’ai fait 2 ans d’HDA à la fac, et c’était rarement si intéressant… Merci beaucoup, je transmets à mes collègues puisque je ne fais malheureusement pas art!
OlivierI
Mercredi 11 Novembre 2015 à 11:06
Merci Julie !
Je suis pas sympa, c’est bientôt les vacances et je vous emmène chez une copine qui aime vous donner de la matière pour réfléchir. « Oh non, c’est pas le moment, je suis sur les rotules et je veux mon lit ! » Oui ben, moi aussi, mais vous avez le droit d’attendre quelques jours pour aller lui rendre visite !
Trêve de plaisanteries, ce mois-ci je vous emmène chez Bidule Mania P’tite Julie :
Pour ceux qui connaissent pas P’tite Julie, c’est une PDMQDC. Eh ouais, rien que ça ! Elle aime partager son travail, mais aussi ses lectures, ses réflexions et ses pistes de travail. On sent et on sait qu’elle aime ce qu’elle fait !
L’article que je veux mettre en avant ce mois-ci est le dernier qu’elle a écrit. Julie propose un travail sur les émotions, en partant d’un constat très simple : certains élèves, qui ne savent ni nommer ni reconnaître les émotions qu’ils ressentent, ont beaucoup de mal à les gérer et sont débordés lorsqu’elles s’expriment intensément.
Elle a donc élaboré une séquence mêlant lecture, vocabulaire et production d’écrit afin de présenter, nommer, identifier les émotions ressenties dans telle ou telle situation. Inutile de vous en dire plus, c’est par là :
Bonne lecture !
Pour découvrir les autres coups de cœur du mois, c’est par ici :
8 pensées sur « Mon Coup de coeur d’octobre ! »
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J’adore les coups de cœur croisés… hi hi
Merci ! -
Trop drole ! Olivier Aime Julie et Julie Aime Olivier …. ça pourrait faire un bon titre de film non?
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Oh,ben ça c’est rigolo! Merci Olivier! Ça me fait drôlement plaisir!
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C’est marrant ce coup de cœur croisé, oui ! Et promis, c’est pas concerté !
Parce que tu le vaux bien, Julie 😉 -
hihi !
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C’est Meugnon… M’enfin moi c’que j’en dis c’est qu’à la base c’est moi qui devait être coupdecoeurisée par Olivier…
ptitejulie
Mercredi 14 Octobre 2015 à 19:50
Oh la jalouse! T’es même pas CPB, c’est juste pour ça!
OlivierI
Mercredi 14 Octobre 2015 à 20:32
Madame Gueularde, j’voudrais bien mais j’peux point ! Z’avez pas un blog CPB et c’est la condition pour qu’on vous adresse un coup de coeur !
(Cela dit, me semble que votre blog a l’ancienneté et les qualités requises pour nous rejoindre ) -
Oh la jalouse! T’es même pas CPB, c’est juste pour ça!
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Madame Gueularde, j’voudrais bien mais j’peux point ! Z’avez pas un blog CPB et c’est la condition pour qu’on vous adresse un coup de coeur !
(Cela dit, me semble que votre blog a l’ancienneté et les qualités requises pour nous rejoindre )
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Vous l’aurez peut-être remarqué (non, vraiment pas ???), l’enseignement de la littérature de jeunesse est l’une de mes préférées ! J’ai toujours eu un attrait particulier pour ce domaine, et j’ai eu la chance de croiser les bons formateurs qui m’ont emmené en dehors des sentiers battus.
La littérature de jeunesse, c’est tellement plus qu’un support de lecture ! Il existe des dispositifs à mettre en place qui permettent au groupe classe, après s’être volontairement cassé les dents sur un texte, d’accéder au sens de celui-ci, parfois très éloigné de ce que les élèves pensaient avoir compris au premier abord, et aussi qu’ils aient un retour réflexif sur le chemin qu’ils ont parcouru pour y parvenir. Le choix des textes que l’on va proposer est déterminant dans l’apprentissage, tous les titres de littérature ne s’y prêtent pas : comme pour les autres matières, il s’agit d’un enseignement qui se PROGRAMME, avec ses objectifs spécifiques et progressifs. Bon OK, dit comme ça, c’est trèèèès vague.
Je vais essayer de vous expliquer ce que j’aime dans ce domaine, et d’expliquer à peu près clairement ce que je fais en classe, et donner des exemples précis.
Tout d’abord, il faut que je vous parle de ma bible en terme d’enseignement de la littérature. Il s’agit de l’ouvrage de Catherine Tauveron « Lire la littérature à l’école – Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM2 ».
C’est l’ouvrage de référence. L’auteure prend soin d’expliquer les enjeux de cet apprentissage et nous montre comment s’y prendre. Elle aborde les enjeux théoriques mais en les illustrant à chaque fois avec des exemples pratiques, en citant des albums ou romans mais également en montrant les difficultés de compréhension et d’interprétation (souvent délibérées de la part de l’auteur du livre) qui s’y trouvent, et comment les aborder en classe. Il y a des dizaines d’exemples d’exploitation disponibles !
L’ouvrage est vraiment très complet, dépassant souvent ce qu’il est réellement possible de faire en classe, mais on y découvre une autre manière de procéder qu’une lecture-compréhension avec questionnaire à la clé.
Il ne se lira pas dans le bus ou le train, mais si vos avez le temps de vous poser et l’envie de découvrir, n’hésitez pas, vous ne serez pas déçus !
Pour faire simple, on peut dire que la lecture va s’intéresser aux problèmes de compréhension (rendez visite à Mélimélune, Mallory, Allet ou encore beaucoup d’autres pour vous y pencher) tandis que la littérature va s’intéresser aux problème d’interprétation.
Comme le dit Catherine Tauveron dans les premières pages de son ouvrage, on ne lit pas la littérature comme on lit un documentaire, l’annuaire ou une liste de commissions. « Il doit exister un plaisir esthétique, intellectif et culturel qui, loin d’opérer par magie, se construit » et la plupart du temps, « on appréhende le récit littéraire comme un fait divers et non comme un produit artistique. On tolère, en maternelle, qu’il puisse déclencher des réactions affectivo-identitaires, mais on les écarte ensuite ».
La richesse et l’intérêt d’un texte littéraire repose, en partie, sur le fait que plusieurs interprétations peuvent en être faites, et l’étudier à l’aide d’un questionnaire ferme souvent les portes à cette possibilité. « C’est parce que la lecture littéraire est un acte singulier d’appropriation d’un texte qu’elle peut être échangée et éventuellement partagée dans la communauté interprétative que constitue la classe. La lecture informatique traditionnelle centrée seulement sur le qui ? où ? quand ? comment ? est une lecture qui reste extérieure à l’élève. Elle ne s’échange pas, parce qu’elle fait l’objet, la plupart du temps, d’un consensus. […] La lecture littéraire qui se tient au plus près du texte (des contraintes qu’il impose et des libertés qu’il offre), qui implique la mobilisation d’une culture partagée (ou à partager) dans la classe, qui se pose la question du « comment ça marche ? » en soi, aussi bien que moi que sur les autres, qui sollicite des interprétations diverses dont le degré de pertinence doit toujours être argumenté et évalué, appelle naturellement l’échange. La lecture en classe devient ainsi le lieu où l’on objective dans le langage ce qu’on a pensé, où l’on se penche sur ce qu’on a ainsi produit pour le considérer sous un jour nouveau, un lieu de négociation de sens, un lieu d’écoute de soi et de l’autre, un lieu de tolérance mais aussi d’esprit critique toujours en éveil : un lieu d’intersubjectivité« (Catherine Tauveron).
La lecture est au service de la littérature, toutes les compétences de lecteur vont être mises en œuvre dans l’étude de textes littéraires. Ces textes, volontairement denses, parfois obscurs à la compréhension, esthétiques, résistants, proliférants, vont poser des problèmes non pas de compréhension, mais d’interprétation.
C’est en amenant le texte d’une manière fine, ciblée, centrée son obstacle spécifique que vont naître des échanges riches entre les élèves, où chacun mettra en avant la manière dont il l’a perçu (toujours en le justifiant), en faisant sans cesse des allers-retours entre les lignes, en écoutant ses pairs, et grâce aux coups de pouce de l’enseignant, que le sens va petit à petit se construire.
C’est donc sur les échanges que l’enseignement de la littérature se base.
C’est vrai, ça fait beaucoup de blabla d’un coup, j’en suis conscient. Voici deux exemples pratiques, l’analyse de deux albums simples à comprendre (lecture) et bien plus profond à interpréter (d’un point de vue littéraire) :
L’une des manières d’entrer en littérature est d’étudier un genre littéraire. Parmi ceux-ci, on peut citer le policier, le récit de vie, l’aventure, le récit de voyage, le récit historique, le conte, la fable, le fantastique ou la science-fiction. Ces genres littéraires peuvent être écrits sous différentes formes (romans, albums, bandes dessinées, nouvelles, théâtre, poèmes).
L’objet de l’étude d’une séquence d’apprentissage va donc pouvoir être de caractériser l’un de ces genres ou l’une de ces formes littéraires. Mais à quoi cela peut-il servir pour l’élève de rencontrer ces différents genres ou formes ? Déjà, à savoir le lire : le théâtre écrit présente des caractéristiques très particulières, et si elles n’ont pas été explicitées et présentées, il sera difficile de se repérer dedans. « Pourquoi y a écrit des prénoms au milieu des lignes ? C’est quoi les écritures penchées, là ? Ça veut dire quoi Scène IV ? ».
L’étude d’un genre va permettre à l’élève de se forger une culture de lecteur, mais aussi de se mettre dans la position d’un lecteur expert : il va passer de « ce que raconte un texte » à « comment il le raconte ». Il aura appris à reconnaître et anticiper les différents éléments constitutifs du genre (le schéma quinaire d’un conte par exemple, mais aussi reconnaître les personnages récurrents de ce genre-le prince, le dragon, la sorcière, l’ogre, le géant, …-, ou s’attendre à la présence d’objets magiques, …).
Cela peut aussi permettre d’apprendre à faire la différence entre des genres qui sont proches, mais pourtant différents. Prenons l’exemple du Merveilleux, du Fantastique et de la Fantasy :
- Le merveilleux est un genre dans lequel on va trouver des personnages, des lieux, des pouvoirs et des objets qui n’existent pas dans notre réalité, mais ils vont être présentés au lecteur de manière tout à fait ordinaire. Dans l’univers dans lequel le récit se passe, ils apparaissent comme normaux.
- Pour le Fantastique, ces mêmes lieux, personnages, pouvoirs, objets seront présents, mais ils apparaîtront comme étrange car le récit se déroule dans un univers qui apparait comme vraisemblable. L’apparition de ces nouveaux éléments sera progressive et le narrateur commencera par douter de ses sens lors des premières rencontres avant de les accepter, souvent avec un sentiment de peur.
- Quant à la Fantasy, elle désigne le genre dans lequel des éléments surnaturels relevant des mythes apparaissent, avec notamment l’utilisation de magie ou la présence d’esprits.
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Rendez-vous par ici pour découvrir davantage les différents genres, ainsi que des exploitations trouvées chez les cyber-collègues :
Pour parcourir et apprivoiser un texte, il faut bien sûr le découvrir, mais les élèves n’auront pas obligatoirement besoin de le lire par eux-même, surtout lorsqu’il s’agit d’étudier une oeuvre longue. La découverte du récit pourra être faite par :
- Lecture à voix haute par l’enseignant
- Lecture silencieuse des élèves
- Lecture à voix haute des élèves
- Résumé partiel de l’histoire par l’enseignant. Ce résumé peut être narré par l’enseignant, ou bien donné à lire aux élèves. L’intérêt de sauter certains passages est de ne pas perdre l’intérêt des élèves, ni de temps dans l’exploitation, à lire des passages plus « mous » du livre, qui n’apportent pas grands choses d’un point de vue narratif (l’idéal est de ne pas dépasser 2 à 3 semaines lorsqu’on travaille sur un livre).
Image Jack Koch – dangerecole.blogspot.com/
Il existe plusieurs dispositifs pour entrer dans le texte, certains plus connus et plus utilisé que d’autres. Ces différentes entrées ne sont pas qu’une variation ludique, elles doivent permettre de mettre en lumière les particularités du texte étudiés.
- Le dévoilement progressif : particulièrement utilisé lors des lectures-feuilletons, il permet de vérifier la compréhension des éléments. On vérifie que les personnages, les lieux, l’intrigue sot identifiés . Mais cette entrée peut aussi servir à faire apparaître une erreur d’interprétation chez le lecteur, à condition que le texte ait programmé cette erreur (tous ne s’y prêtent pas). Après le démarrage de l’intrigue, le lecteur s’attend à ce que la suite de l’histoire soit convenue, tout le monde s’attend à ce qu’il se passe un évènement, et il y a un rebondissement imprévu.
Quelques exemples d’ouvrages qui s’y prêtent particulièrement :Ce sera aussi le prétexte pour revenir en arrière dans la lecture, et chercher s’ils ne sont pas passés à côté d’indices qui auraient pu les mettre sur la bonne voie. Dans le cas de Ohé Capitaine ! de Thierry Dessailly, le lecteur doit décider si le « capitaine » est un vrai matelot, ou bien si, comme la rumeur le prétend, il n’avait jamais été à la barre d’un navire.
« Dans un village, au bord de la mer, un vieux capitaine, qui a tout (et même un peu trop) du capitaine… sauf le bateau, passe ses journées l’œil (triste) fixé sur l’horizon. Il a un secret…, dit-on gentiment. Mais un jour, la rumeur se lève parmi les habitants : et s’il n’était pas capitaine ? Il disparait bientôt et c’est le désarroi dans le cœur et l’esprit de chacun. Pourtant, par une nuit de tempête, comme sous le pinceau blanc d’un peintre magicien, il réapparait longeant le village, à la barre de son merveilleux navire, sans accoster… et tous comprennent alors que le capitaine leur avait offert bien plus qu’ils n’auraient espéré : Patience, audace, espoir, rêve et beaucoup d’amour. (résumé de C. Tauveron)
Dans cet album, le lecteur est amené à comprendre en premier lieu que le récit se passe comme il nous est raconté. Cependant il oscille entre rêve et réalité. On pense que Capitaine est forcément un vrai capitaine et que c’est lui qui est à la barre du navire lors de cette fameuse nuit. Mais, en étant attentif à certains passages, on peut se douter que le récit ne peut pas être vraisemblable, alors qu’il est ancré dans un univers qui l’est. Le retour du Capitaine se fait par une terrible nuit de tempête. Tous étaient certains qu’un seul homme était capable de passer si près de la côte, une nuit de tempête : le Capitaine. […] Ceux qui ont croisé son regard ont compris qu’il ne resterait pas. Un capitaine de cette trempe aurait pu accoster et pourtant, il ne le fit pas.
Croiser le regard du Capitaine ? Les villageois se sont massés sur la côte, il fait nuit, la tempête fait rage. Tout ça mis bout à bout ne tient pas debout ! Lorsque les élèves ont mis le doigts sur cette contradiction, puis réussi à interpréter la dernière phrase du livre (Moussaillons, ouvrez l’œil. Il existe des Capitaines sans jambes de bois, sans barbe rousse, sans … bateau), ils sont en mesure d’envisager que ce capitaine n’en est pas un vrai. Et une relecture attentive des différents fragments va permettre de mettre le doigt sur d’autres indices.Pour cet album, le découpage peut être fait en 3 fragments : d’abord la situation initiale (la cohabitation tranquille avec les gens du village), puis le basculement (l’émergence de la rumeur, la disparition du Capitaine et l’appel des villageois) et enfin le dénouement (la 7e nuit de tempête). Le premier fragment permet de découvrir les personnages et les lieux. On est persuadé que le Capitaine est un vrai capitaine. Dans le second, on va trouver des passages qui sont particulièrement résistants et qui ne pourront être compris que lorsque le doute sur la véracité de la narration sera apparu. Enfin, le dernier extrait devra être discuté, en mettant le doigts sur les éléments contradictoires qui mèneront à s’interroger sur l’ensemble du récit.
- La lecture dans un désordre concerté : on va la privilégié dans le cas où le récit n’est pas dans l’ordre chronologique des évènements ou bien lorsque l’on veut cacher des éléments du début de l’histoire pour que les élèves problématisent leur lecture.
C’est ce qu’il est possible de faire par exemple pour l’étude de L’enfant océan, de J.-C. Mourlevat.
Pour l’étude de ce roman, j’aime commencer par la lecture du chapitre 7, dans lequel on nous décrit le spectacle de 7 enfants faisant des glissades sur le terrain de sport municipal en plein milieu de la nuit. C’est assez surprenant pour le lecteur, mais on peut ensuite s’interroger sur l’identité de ces personnages, et des raisons pour lesquelles ils sont là, nus au milieu de la nuit. Cette situation conduit la classe à interroger l’implicite |
III. La lecture puzzle : ce dispositif permet d’attirer l’attention sur des indices qui peuvent sinon passer inaperçus. Ils vont permettre de construire une interprétation fine. Il faut mettre en lien des indicateurs de temps et de lieux, des substituts, des pronoms, …
IV. Lecture avec ou sans les images : ce dispositif est destiné aux albums, car la relation texte-images y est importante : ils peuvent être redondants (la plupart), complémentaires (Une histoire à 4 voix, les albums de Claude Ponti), divergents (L’Afrique de Zigomar, Mon chat est le plus bête du monde), narrer des récits parallèles, donner une piste d’interprétation (Les mystères de Harrys Burdick) …
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Dans un premier temps, on montre les illustrations et on demande de lire et d’interpréter les images (ce que je vois / ce que je comprends).
Puis on compare avec ce qu’on lit. |
Sortir du questionnaire de compréhension (/d’interprétation) ne veut pas dire que l’on ne demande aucun travail écrit aux élèves. C’est davantage que l’on va les emmener à proposer des interprétations, des recherches des possibles que le texte offre grâce à des questions ouvertes.
Il est possible de demander de produire un dessin d’un passage, d’un personnage dont l’identité ou la description ne sont pas clairement faits (il faudra interpréter un faisceau d’indices – Coeur de Lion, de Robert Boudet par exemple).
On peut aussi recourir aux « écrits de travail ». Il ne s’agit pas de production d’écrit, mais d’une production transitoire et éphémère qui va permettre de poser UNE interprétation possible du texte, et exprimer la compréhension de l’élève à un moment-T de la lecture. On peut les comparer aux représentations initiales de la démarche expérimentale en sciences.
Pour consulter la typologie des différents types d’écrits de travail, c’est par là.
Pour avoir des exemples concrets et complets, c’est par ici (puis CTRL + F, tapez Typologie).
La lecture en réseau est souvent évoquée. Afin que le réseau soit efficace, il faut que les textes que l’on associe permettent d’acquérir un comportement de lecteur expert en s’affinant au fur et à mesure jusqu’à surmonter l’obstacle de compréhension qu’ils posent.
Prenons l’exemple de la notion de narrateur. Le réseau va être fait de textes sélectionnés afin de construire les connaissances suivantes :
- définir la notion de narrateur
- apprendre à repérer les indices permettant d’identifier un narrateur interne ou externe
- travailler sur le narrateur-auteur : l’autobiographie
- se questionner sur la fiabilité du narrateur (cas du narrateur-menteur : Journal d’un chat assassin, par exemple)
- aborder le relai de narration : L’enfant océan
- observer les différences d’interprétation d’un même évènement par plusieurs narrateurs (le point de vue)
- connaître le journal-intime : écrire pour soi
Évidement, il n’est pas nécessaire d’épuiser toutes les possibilités du réseau, au risque de lasser tout le monde.
Ce genre de réseau doit donc permettre de surmonter un problème de compréhension qui constitue un obstacle pour l’élève (les textes réticents). Cela peut être le cas pour :
- les textes qui poussent à une compréhension erronée par la présence de leurres qui poussent à la méprise (Papa ! de P. Corentin, Coeur de Lion de R. Boudet, romans policiers avec fausses pistes)
- le cas du narrateur peu fiable (Journal d’un chat assassin, A. Fine – Moi, Fifi, de G. Solotareff – Un martien ou Robot, de B. Friot)
- la présence d’ellipses narratives (Yakouba, T. Dedieu)
- le fait de gommer les relations entre les personnages
- le fait de perturber l’ordre chronologique des évènements
- le fait d’enchâsser un récit dans le récit (Dents d’acier, de C. Boujon)
- en brouillant les frontières entre monde fictif et monde imaginaire (Boréal-express, de Chris Van Allsburg, Comment Wang-Fô fut sauvé, M. Yourcenar)
- en adoptant un point de vue original (celui d’un extra-terrestre –Dr Xorgol de Tony Ross, d’un caillou –Rocky le petit rocher d’Alain Foix, d’une fourmi – Les deux fourmis de Chris Van Allsburg, d’une poupée – La petite géante, de Philippe Dumas, ou d’un ours en peluche – Mitch, G. Solotareff ou Otto de T. Ungerer).
Un réseau peut aussi être construit afin de structurer une culture (on en revient au genre littéraire, mais on peut aussi évoquer l’archétype d’un personnage dans les contes).
On peut aussi évoquer les réseaux centrés sur un auteur. Mais là encore, il faut avoir des objectifs spécifiques autour de cet auteur. Par exemple, connaître l’auteur peut permettre de mettre en lumière que les œuvres s’éclairent les unes les autres. Prenons le cas de Rascal (oui, encore !). Ses albums sont simples à comprendre en apparence, mais l’interprétation des histoires est plus compliquée. Certains éléments récurrents dans les histoires vont permettre aux textes de s’éclairer les uns les autres. Ces éléments seront d’ordre symbolique :
- les saisons comme rythme de la vie
- l’eau qui nettoie et purifie
- le feu qui purifie
- la re-naissance symbolique des personnages
- le voyage géographique qui permet une quête spirituel
- les masques derrière lesquels les personnages se cachent
- …
Les réseaux autour d’un même obstacle de compréhension peuvent donner lieu à un autre dispositif : le débat interprétatif.
Ce dispositif a pour objectif d’aider les élèves à raisonner sur les textes, à acquérir des stratégies de lecture et à les utiliser lorsqu’ils rencontrent un texte qui les nécessite. Sa richesse provient des échanges oraux qu’auront les élèves pour justifier leur interprétation du texte et la réponse qu’ils y apportent, toujours en se référant à celui-ci, mais aussi en allant explorer le champ des implicites permis, mais aussi en s’appuyant sur son expérience de lecteur et les situations déjà rencontrées.
Pour proposer des situations d’enseignement par le débat interprétatif, il faut commencer par se constituer un corpus de 4 ou 5 textes présentant un même obstacle de compréhension. Dans le cas que je prend en exemple, il s’agira d’un réseau centré sur l’imaginaire.
Chaque jour, on propose un texte différent. Plutôt que d’aborder la compréhension et l’interprétation par le questionnaire, on va s’appuyer sur un écrit de travail (on en a parlé un peu plus tôt) qui va servir d’« observable de compréhension ».
A noter : on peut priver le texte de quelques phrases, du dernier paragraphe, de son titre […] si celui-ci apporte la réponse.
Un exemple :
Dans le texte Je t’haine, de Bernard Friot, le narrateur est amoureux de Virginie, l’une de ses camarades de classe. Et comme la plupart des garçons de son âge, il ne trouve pas d’autre manière de le lui montrer l’importance que de lui envoyer des « mots durs » (et non doux) ou de lui faire des croche-pieds. Et elle le lui rend bien ! Bref, ils ont cette relation particulière mais exclusive. Et un jour, cette demoiselle se dispute avec un autre garçon dans la cour et elle finit par lui crier « J’te déteste ! ». Le coeur de notre narrateur se brise net, et il décide de lui rendre la pareille et envoyant des « mots durs »sur la table de la voisine. Virginie est morte de jalousie. En plus de cela, notre narrateur lui laisse comprendre qu’il ne la déteste plus ! A la sortie des classes se joue une terrible scène à l’issue de laquelle Virginie est en larme. Le texte s’achève par :
« – Moi ? Je ne t’ai jamais détestée ! Au contraire, je t’aime, je t’aime !
Elle n’a pas répondu. Elle m’a tourné le dos. J’ai bien vu qu’elle pleurait. Alors je lui ai donné un coup de pied dans les fesses. Pour la consoler. »
En tant que lecteur expert, il nous est facile de déceler cet amour mutuel et inavoué entre les deux personnages, avec des passages comme « Je la connais depuis la maternelle, mais avant, c’était comme si elle n’existait pas. Maintenant c’est tout le contraire. Je pense à elle sans arrêt. Même la nuit quand je dors. » ou bien en remarquant l’obsession de leur comportement l’un envers l’autre. Le titre livre également la clé de l’histoire. Mais pour des lecteurs de cycle 3, c’est une autre histoire !
La consigne qui accompagne ce texte est d’expliquer les 3 dernières phrases. Donner un coup de pied pour consoler ? Comment cela peut-il avoir du sens ? Et du coup, pourquoi cela la consolerait ? Pour le comprendre, il faudra revenir sur l’ensemble du texte.
Voilà le déroulement d’une séance type :
- les élèves commencent par lire individuellement le texte
- on fait une première phase orale afin de s’assurer de la compréhension globale du texte (Qui ? Où ? Quand ? Que se passe-t-il ? mais en restant dans les grandes lignes du texte, il ne s’agit pas de commencer à interpréter)
- la consigne est donnée : il s’agit de trouver une consigne de travail, une question qui va permettre de mettre en valeur la difficulté que pose le texte. Cela peut être un dessin à réaliser, trouver un titre, imaginer une suite, combler une ellipse, faire un relevé, un classement, …
- Ensuite, au choix : soit une mise en commun par petits groupes avant la synthèse. Chaque groupe doit se mettre d’accord sur une proposition parmi les leurs qui sera proposée à la classe.
- Mise en commun dans le groupe classe. Je note les propositions au tableau, sans demander encore d’argumenter. Puis vient le moment du débat interprétatif. On discute des différentes réponses, avec lesquelles les élèves sont d’accord, ou pas, et surtout pourquoi ? Quels sont les éléments du texte qui permettent de l’affirmer ? Y a-t-il des indices à mettre en relation pour construire du sens ?
Durant cette phase, il faut essayer de s’effacer au maximum, de ne surtout rien confirmer, les élèves doivent construire eux même leur raisonnement. - Lorsque le débat touche à sa fin, et que l’on s’entend sur une manière de comprendre le texte (ou pas d’ailleurs, certaines situations ne permettront pas d’avoir un consensus), je propose une lecture offerte du texte qu’ils sont en mesure de comprendre à sa juste valeur.
L’ouvrage Enseigner la compréhension par le débat interprétatif est vraiment bien fait ! Il reprend ce fonctionnement et propose des corpus de textes réunis en fonction de difficultés ciblées. Je ne peux que vous le conseiller. Je m’en suis servi il y a quelques années et ne l’ai pas regretté !
Pour ceux qui veulent encore creuser un peu plus la question, voici le compte-rendu d’une conférence de Mme Tauveron à l’IUFM de Rennes. C’est synthétique et complet. Clic !
Encore une fois, merci à ceux qui m’auront lu jusque là !
14 pensées sur « Littérature : que faire et comment l’enseigner ? ! »
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Merci pour ce partage. Ton article est intéressant. Il permet de découvrir de nouveaux titres.
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Merci pour cet article intéressant, il j’y a plus qu’à mettre en oeuvre…Bonne fin de semaine
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Effectivement j’ai lu jusqu’au bout même à minuit. Merci pour cette vision de la littérature… Je vais lire les liens donnés car c’est très intéressant tout ça!
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Merci pour cet article. Je m’interroge justement là- dessus en ce moment et tente de mettre en place qq chose qui sort du lecture/questionnaire que je trouve peu concluant ou formateur! Vos idées vont m’être bien utiles!
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Merci à vous 4 pour votre passage et votre lecture !
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Wahou ! Quel travail ! Merci pour les idées très intéressantes
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Très intéressant cet article, avec des ressources qui donnent envie! Merci pour ce partage
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J’ai tout lu, j’ai tout compris, je suis ravie!!!!!!
MERCI -
Passionnant ! Il faudra que je relise pour m’approprier tout ça. Merci.
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Bonjour,
un simple mot pour vous remercier pour ce travail incroyable. T1, j’ai cette année une classe de CM1-CM2 à mi-temps, et suis en charge de l’enseignement de la littérature. L’an passé, j’ai beaucoup travaillé sur la compréhension de lecture avec mes CE2-CM1; et étais donc un peu perdue en ce début d’année pour enseigner la littérature. En gros, je ne voyais pas trop quoi faire, comment, et ne souhaitais pas me limiter simplement à des lectures + questionnaires comme on le voit souvent dans les écoles.Bref, je suis sauvée par votre article, qui regorge d’idées, de pistes auxquelles j’adhère complètement, etj’ai envie de tout faire… Mais il va falloir faire des choix 🙂 Encore merci pour ce travail !OlivierI
Jeudi 1er Octobre 2015 à 21:00
Merci de ton passage et ton mot Mélanie. Je me suis retrouvé comme toi il y a quelques années, à me demander ce que je pouvais faire de plus pour aller plus loin en littérature, et j’ai eu la chance de faire les bonnes rencontres et d’avoir de bonnes lectures. Je partage ici une synthèse de ce que j’en ai compris/retenu/adapté en espérant que ça puisse être utile !
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Merci de ton passage et ton mot Mélanie. Je me suis retrouvé comme toi il y a quelques années, à me demander ce que je pouvais faire de plus pour aller plus loin en littérature, et j’ai eu la chance de faire les bonnes rencontres et d’avoir de bonnes lectures. Je partage ici une synthèse de ce que j’en ai compris/retenu/adapté en espérant que ça puisse être utile !
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Merci à toutes ! Comme d’habitude, c’est avec plaisir !
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Merci pour cet article très complet. Je trouve que le débat interprétatif n’est pas toujours facile à mener . J’ai parfois l’impression de beaucoup trop questionner les élèves pour arriver à faire émerger une réflexion sur le texte. J’espère que la lecture du livre que tu recommandes m’aidera à améliorer mes séances.
OlivierI
Dimanche 4 Octobre 2015 à 21:21
Merci Pascale ! C’est vrai que le débat peut parfois être laborieux, et les prises de parole dépendent aussi beaucoup du climat de classe, certaines fois c’est assez catastrophique. Le choix des textes y est pour beaucoup dans les échanges, ainsi que les textes déjà rencontrés. Tu peux jeter un oeil dans ma rubrique Remplacement, il y en a quelques un .
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Merci Pascale ! C’est vrai que le débat peut parfois être laborieux, et les prises de parole dépendent aussi beaucoup du climat de classe, certaines fois c’est assez catastrophique. Le choix des textes y est pour beaucoup dans les échanges, ainsi que les textes déjà rencontrés. Tu peux jeter un oeil dans ma rubrique Remplacement, il y en a quelques un .
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Pour ce coup de cœur, on prolonge encore un peu les vacances : je vous emmène en Polynésie rendre visite à Crayon de Soleil !
Son blog, Ma classe au soleil, c’est plein de belles idées, de belles séquences, avec des documents toujours très soignés. Les ressources que vous y trouverez sont essentiellement pour le cycle 3, mais il ne devrait pas tarder à s’enrichir.
Et la grande richesse de son blog, ce sont les arts visuels et les projets transdisciplinaires qui leur sont liés. J’ai beaucoup hésité entre deux articles à vous présenté ce mois-ci, car son projet VOYAGE AU FIL DU TEMPS est exceptionnel, mais j’aurais aussi pu vous parler de son exploitation de Sous la grande vague au large de Kanagawa ou encore de son travail sur Monet avec Où est la rainette, de la collection Pont des Arts (c,’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai découvert cette collection) !
L’article pour lequel j’ai craqué ce mois-ci n’a visiblement pas encore eu les visites qu’il mérite, au vu du peu de commentaires que l’on y voit. Et pourtant la séquence est d’une grande qualité !
Il s’agit d’une exploitation du Portait de Louis XIV en costume de sacre, par Rigaud. Grand classique en histoire des arts, le tableau n’est pas forcément simple à aborder car les symboles qu’il donne à voir ne sont pas évidents pour les élèves. Crayon de Soleil nous propose un diaporama qui les met en lumière en s’en servant de point de départ pour l’exploitation.
La séquence se termine par une proposition de pratique éclairante en arts visuels dans laquelle elle nous propose de rhabiller Louis XIV et de le mettre dans un décor qui mettra en valeur sa nouvelle tenue.
Si vous n’avez plus qu’une hâte et que vous mourrez d’envie de découvrir son travail, c’est par là :
Crayon de Soleil, on ne te lit plus beaucoup en ce moment, j’espère que tu nous prépares plein de belles nouveautés !
Pour découvrir les autres coups de coeur du mois, c’est par ici :
5 pensées sur « Le coup de coeur du mois de septembre ! »
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Tiens, tiens, un coup de coeur en arts visuels, à l’autre bout de la planète en plus….
Bises à mon filleul et à Crayon de soleilCrayons de Soleil
Jeudi 31 Décembre 2015 à 00:45
Bisous Lala !!
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Bisous Lala !!
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Ca donne (presque) envie de faire du cycle 3 !
Merci pour la découverte, Olivier ! -
Coucou Olivier Je venais te déposer un petit changement de lien et je viens de voir, oh catastrophe, que je n’ai jamais mis de commentaire à cet article (alors que j’étais sûre de l’avoir fait…), j’en suis désolée.
Un gros merci à toi pour ce coup de coeur qui me fait plus que plaisir !! On doit se demander autour de moi pourquoi je souris comme ça, hihihi !!!
Voici le nouveau lien pour l’article sur « Où est passée la rainette ? » et ma nouvelle adresse pour mon nouveau blog.
Bonne et heureuse année à toi !! A bientôt !! ‘OlivierI
Jeudi 31 Décembre 2015 à 09:22
Mais de rien Crayon ! On t’a dit que tu avais bonne mine ? (Oui, oui, je sors…)Tu as mis l’ancien blog hors ligne du coup ? Tu penses transférer tes ressources ou bien consacrer le nouveau blog à de nouvelles ressources ?Très bon réveillon à toi aussi ! A bientôt !
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Mais de rien Crayon ! On t’a dit que tu avais bonne mine ? (Oui, oui, je sors…)Tu as mis l’ancien blog hors ligne du coup ? Tu penses transférer tes ressources ou bien consacrer le nouveau blog à de nouvelles ressources ?Très bon réveillon à toi aussi ! A bientôt !
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Merci pour ce magnifique éclairage
OlivierI
Dimanche 13 Décembre 2015 à 16:38
Encore un superbe article qui fait vivre l’oeuvre à sa lecture…
J’adore le dévoilement progressif avec le tableau en « morceaux »
Merciiiiiiiiiiiiiiiiii mon filleul
OlivierI
Dimanche 13 Décembre 2015 à 16:40
Merci de ton passage et de ton p’tit mot ma Lala !Oui, le dévoilement progressif est intéressant et riche à faire vivre, j’aime beaucoup aussi !
Merci de ton passage et de ton p’tit mot ma Lala !Oui, le dévoilement progressif est intéressant et riche à faire vivre, j’aime beaucoup aussi !
Quel magnifique travail, détaillé, approfondi, qui rend cette oeuvre totalement accessible aux élèves (et à leur enseignante !). Merci beaucoup pour ce travail et ce partage.
OlivierI
Dimanche 13 Décembre 2015 à 16:42
Avec plaisir Verito !Et merci de ta lecture et de ton message
Avec plaisir Verito !Et merci de ta lecture et de ton message
J’y vois plus clair en qui concerne le terme clair-obscur… Et tout le reste! Merci pour cet article éclairant, ton style lumineux, et le contenu passionnant! Je t’admire et te jalouse pour tout ça! 😉
OlivierI
Dimanche 13 Décembre 2015 à 21:05
Merci Charlotte ! Y a pas grand chose à me jalouser, tu sais Je suis passé chez toi ce soir pour préparer mon article du mois !
Merci Charlotte ! Y a pas grand chose à me jalouser, tu sais Je suis passé chez toi ce soir pour préparer mon article du mois !
Un article très riche, pour une séquence d’une grande richesse aussi, merci beaucoup !
OlivierI
Samedi 19 Décembre 2015 à 09:17
Avec plaisir !